Amatiwana Trumai
Images du Xingu à l'usage des Blancs qui ne peuvent pas comprendre
au 06 février 2022
Le commissariat et la scénographie de cette exposition dédiée au peintre Amatiwana Trumai ont été réalisés par l'artiste Jérôme de Vienne.
C'est pour ça que j'invente, je mens, je fais des « tableaux » comme disent les Blancs. Pour conserver ce qu'étaient nos rituels, bien qu'on prenne vos coutumes. Pour que, comme disent les Blancs, notre « cultura », nos rituels soient conservés. Qu'ils ne disparaissent pas.
Amatiwana Trumai
Amatiwana Trumai est un artiste peintre brésilien issu de l'ethnie Trumai, dans le Xingu, en Amazonie. Décédé en 2018, il s'est attaché toute sa vie à retranscrire et transmettre par le biais de sa peinture les éléments essentiels de la culture traditionnelle dont il était issu : des moments de rituels, des mythes transmis à l'oral, ou encore des scènes quotidiennes, plus ou moins reconstruites selon un idéal traditionnel de la vie dans le Xingu. La peinture d'Amatiwana n'a pas d'équivalent dans les pratiques artistiques traditionnelles du Xingu, ni des Trumai. Dans cette culture orale, la peinture se déploie en motifs géométriques sur des objets usuels, ou sur les corps lors des rituels. Le recours à la figuration y est rare, et en tous cas jamais sous la forme "traditionnelle" du tableau de chevalet, à l'huile sur toile.
La pratique d'Amatiwana Trumai est inédite : elle peut être lue à la lumière du titre queJérôme de Vienne a donné à l’exposition. À la fois constat d’incompréhension et tentative de dialogue, la formule condense les contradictions à l’œuvre à la fois dans sa carrière, dans sa peinture et dans ses propos. D'une part, l'œuvre d'Amatiwana Trumai reflète une volonté de montrer le Xingu et de transmettre sa connaissance de la culture Trumai aux générations futures. D'autre part, en s'appropriant une certaine conception occidentale de la culture et de sa sauvegarde, ainsi que par le choix d'une forme d'art reconnaissable comme telle en occident, elle révèle une volonté de faire reconnaître et comprendre cette culture aux « Blancs ». C’est donc un travail de traduction auquel se livre Amatiwana Trumai : les images qu’il propose de sa propre culture intègrent le regard que les Blancs portent sur elle, et son travail se construit dans ce mouvement d’aller-retour.
Sa peinture auto-ethnographique donne un exemple complexe et parlant de ce que Mary-Louise Pratt nomme les « arts de la zone de contact». Par ce terme, elle décrit des « espaces sociaux où différentes cultures se rencontrent, s’affrontent et luttent les unes avec les autres, souvent dans un contexte de relations hautement asymétriques de domination et de subordination. »
Présentée d’abord à l’occasion de la 69ème édition de Jeune Création à Paris, en février 2020, cette monographie sur le travail d’Amatiwana Trumai adoptait la forme et les codes d’un « grand musée en miniature », qui sacralisait cette peinture selon des formes muséales canoniques en occident, tout en ramenant les visiteurs à leur inadéquation dans ce lieu, et à l’artificialité des normes de neutralité à l’œuvre dans notre regard. Il s’agissait de ne pas effacer l’opacité de cette peinture, ni l’étrangeté de sa présence dans ce contexte.
À l’inverse, ou en miroir, l’exposition au Creux de l’enfer se présente comme la projection dans l’espace d’exposition d’un catalogue monographique en devenir. Des pages surdimensionnées de catalogue sont présentées à l'échelle des murs, où des tableaux authentiques, en volume, viennent se superposer à leur reproduction.
A l'issue de ce parcours est présenté un film réalisé entre 2015 et 2020 par Emmanuel de Vienne, anthropologue, qui a longuement travaillé avec Amatiwana Trumai dans le cadre de ses recherches sur les Trumai. Ce film, à la fois enregistrement d'une parole, sauvegarde d'une mémoire traditionnelle et instrument d'une transmission, revient sur le passé de l’artiste et celui des Trumai, sur les raisons pour lesquelles il a commencé à peindre comme sur l'importance – et la difficulté – de continuer.
Jérôme de Vienne vit et travaille à Paris. Diplômé en histoire de l’art, avant de se tourner vers la peinture puis l’art conceptuel, il a participé entre 2017 et 2020 à la Coopérative de Recherche de l’École des Beaux-Arts de Clermont-Métropole (ESACM), où il a mené une recherche sur l’usage du langage par les artistes, approchant l’histoire de l’art comme une chanson de geste. Il a dérivé vers une pratique de la traduction prise au sens large, portant une attention particulière aux notions d’originalité et d’autorité. Deuis 2017, pour les éditions ISTI MIRANT STELLA, il est directeur de la collection Intentions, dédiée à la reparution de textes trouvés, choisis, réécrits ou simplement déjà là. En 2018, avec Enrico Floriddia, puis Aggeliki Tzortzakaki et Ewa Sadowska, il a créé bi–, une résidence d’artiste inventée, tournée vers la paresse et l’hospitalité. En 2019, il a participé au programme The Institute of things to come, à la Fondazione Sandretto Re Rebaudengo à Turin. Depuis quelques mois, avec Julien van Anholt et Diana Duta, il mène une traduction collective et ouverte de Dhalgren, un roman de Samuel R. Delany. En 2020, lors de la 69ème édition de Jeune Création, il a présenté une rétrospective du peintre indigène brésilien Amatiwana Trumai, dont cette exposition au Creux de l’enfer est la continuation.
Amatiwana Trumai est né vers 1945 à Ure ure owa, dans le Haut-Xingu. Il a vécu et travaillé entre Canarana et Três Lagoas dans le Mato Grosso, Brésil. Il est mort à Brasilia en 2018. Fils du chef traditionnel Nïtïarï, et destiné à lui succéder, il reçoit très tôt une éducation spécifique, et gardera toute sa vie une autorité particulière chez les Trumai, en raison de sa connaissance des mythes et des rituels. Marqué dès son plus jeune âge par la maladie, il ne pourra cependant pas incarner cette position, mais traduira cette connaissance dans sa peinture. Formé en autodidacte à la fin des années 1960, et forcé à de longs séjours à l’hôpital à Rio de Janeiro et São Paulo, il sera l’un des premiers Trumai à avoir une connaissance étroite du « monde des Blancs » et à parler Portugais. À la fois figure d’autorité traditionnelle, traducteur et médiateur pour plusieurs générations d’anthropologues, sa pratique d’une peinture auto-ethnographique, érudite et mémorielle, intègre l’histoire et la culture du Xingu dans une forme hybride de représentation, dont l’adresse et le legs demeurent indécidables. Son travail a été présenté à São Paulo en 1972 (exposition personnelle), ainsi qu’à à Rio de Janeiro en 1991 (exposition collective) et 1992 (exposition personnelle), et en 2000-2001 pour une rétrospective au Museu Nacional De Belas Artes de Rio de Janeiro. Ses œuvres sont présentes dans les collections du Museu do Índio, à EMBÚ das Artes à São Paulo, conservées par ses descendants à Canarana, et dans quelques collections personnelles.
L’exposition de Jérôme de Vienne a reçu le soutien de l’École Supérieure d'Art de Clermont-Métropole et de Clermont Auvergne Métropole.
L’exposition est l'occasion d'un dialogue avec les héritiers d'Amatiwana Trumai, en vue d’une future exposition consacrée à son travail à Canarana, où il a vécu, et aux formes de muséographie à inventer dans ce contexte. L’exposition s’accompagne également d’une série d’invitations permettant de questionner la pratique de ce peintre. Jérôme de Vienne souhaite remercier Tataruyap Kamayura, Wary Trumai, Ariwewu Trumai, Tatupewa Trumai, ainsi que Emmanuel de Vienne, Sophie Moiroux, Pedro de Niemeyer Cesarino, Philippe Eydieu, Michèle Martel, Fabrice Gallis, Enrico Floriddia, Jens-Emil Sennewald, Julien van Anholt et enfin Jérôme Musseau, Françoise Livolant, Aurore Monod Becquelin, Sarina Basta et Marina Charmant Zielinski pour le prêt des œuvres.