Vivien Roubaud
Univers encapsulés
au 02 juin 2019
Pour son exposition personnelle au Creux de l’enfer, Vivien Roubaud déploie au rez-de-chaussée une installation tentaculaire propre aux dimensions de l’espace, Désiphonnage, faite de matériaux récupérés. Ce complexe assemblage d’éviers, de baignoires et de tuyaux, forme un réseau inédit de circulation d’eau prélevée dans la rivière de la Durolle, longeant le centre d’art.
Ainsi, Vivien Roubaud nous fait découvrir des “univers encapsulés” utilisant la force motrice de l’eau ou la force centrifuge. En effet, à l’étage, entièrement bercé et animé par un jeu d’ombre et de lumière en mouvement, brillent trois lustres en rotation autour de leur axe, dans des sphères gonflables connectées entre elles: Gonflables, contrepoids, transmission scooter électrique, lustres à pampilles, collecteur tournant, chaine de moto, vingt-quatre volts. Plus loin, sur un mur préservé de cette agitation constante, des stalactites calcaires reliées à un micro système de goutte-à-goutte poursuivent leur croissance, presque invisible. Soit autant de phénomènes et d’instants que l’artiste aura reconditionnés et isolés, proposant un regard distancé sur leur statut habituel.
Dans son mode opératoire, Vivien Roubaud s’intéresse aux objets et aux principes de fonctionnement des machines issues de notre quotidien, ainsi qu’aux mélanges d’époque et de style (il utilise des lustres à pampilles anciens et leur insuffle des mouvements motorisés). Quand il travaille avec des matières minérales, il élargit le champ des possibles jusqu’à l’appropriation délicate de ces sédiments. Son projet composé de stalactites prélevées dans des bâtiments désaffectés, fonctionne comme un sablier mesurant le passage du temps à une échelle imperceptible pour l’être humain. Ces “objets” servent de matière première à ses créations et se trouvent démantelés pièce par pièce, afin d’en récupérer certains principes et de les hybrider sans retenue.
Vivien Roubaud esquisse nombre de notes et de croquis en vue de bâtir une machine expérimentale, à partir d’éléments glanés et recombinés. Dans son titre même, Désiphonnage souligne avec humour la folie des projets menés par l’artiste — en effet, faut-il bien être “siphonné” pour se lancer dans un tel ouvrage! Vivien Roubaud déjoue ainsi les programmes qui animent machines et objets industriels, afin de créer des prototypes d’un autre genre. En ce sens, les œuvres de l’artiste font souvent perdre leur usage premier aux objets qu’elles recyclent pour en extraire une substance capable de produire des instants poétiques. La démarche de l’artiste consiste à reconsidérer le monde qui l’entoure et à aiguiser son regard quotidiennement. Il s’agit par exemple de dégager les possibilités que renferme chaque élément, à la manière d’un bricoleur. Bricoler, c’est-à-dire se débrouiller avec ce qu’on a sous la main et faire preuve d’inventivité pour imaginer un prototype et le faire fonctionner. En effet, chaque œuvre de Vivien Roubaud nous interpelle de par sa capacité à créer des associations et des connexions inattendues entre divers matériaux. A cet égard, les surprenantes légendes qui accompagnent ses créations nous aident à décrypter les composantes utilisées par l’artiste, et saisir leur logique d’agencement. À l’instar de Coton, verre, quarante-cinq volts, atmosphère protégée, dont la dentelle manufacturée devenue carbonisée sert de conducteur d’électricité, et s’appuie sur le modèle de fabrication des lampes incandescentes inventées par Joseph Swan et Thomas Edison au XIXe siècle.
Mais au-delà de leur aspect purement technique, les expérimentations de Vivien Roubaud ramènent la mécanique du côté des vivants. Si Désiphonnage apparaît visuellement comme un détournement connectant un vaste réseau de plomberie à la rivière de la Durolle pour créer une fontaine au milieu de l’espace d’exposition, l’œuvre peut aussi s’interpréter comme un système gastrique ou un organisme en phase de digestion, traversé de borborygmes. Les vasques utilisées sont recouvertes de mousse et de sédiments liés aux intempéries. Ils font écho aux phénomènes naturels et donnent un aspect intemporel à la sculpture. Mais plus qu’une expérience rétinienne, les œuvres de Vivien Roubaud se révèlent aussi par leur dimension sonore. Les trois Gonflables offrent de temps à autre un concerto de cliquetis avec leurs cristaux qui s’entrechoquent. Un événement où la tension est palpable et dans lequel les œuvres, emportées par leurs mouvements, flirtent avec leur propre autodestruction.
François Salmeron
Né en 1986 à Vouziers, Vivien Roubaud est diplômé de l’Ecole nationale supérieur d’art de Marseille et de l’Ecole nationale supérieure d’art de la Villa Arson à Nice. En 2014, il obtient le prix Révélations EMERIGE pour lequel il présentait notamment un procédé parvenant à figer une explosion de feu d’artifice. Son travail a été exposé au Palais de Tokyo à Paris, au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne, à la Villa Arson à Nice, à Micro-Onde, Centre d’art de l’Onde à Vélizy-Villacoublay ainsi qu’au Gyongnam Art Museun en Corée du Sud. Il vit et travaille actuellement à Bruxelles et est représenté par la galerie In Situ – fabienne leclerc.
L’exposition Univers encapsulés a reçu le soutien du Frac Occitanie et de la galerie In Situ